RASSEMBLER / MORCELER

10 artistes - 5 expositions en duos


#11 : Duo 1
Comment faire corps avec le paysage ?

Julie Monnet et Dominique Robin

23 mars - 2 avril 2021

Exposition - Ateliers ouverts - Rencontres




Lycée Pilote Innovant International

Téléport 5
86130 Jaunay-Marigny


 

 

5 expositions en duo programmées sur l’année 2021

Le collectif Acte - association regroupant 10 artistes plasticiens - s’installe dans le Lycée Pilote Innovant International situé à deux pas du Futuroscope. Pendant 3 années, le collectif, dont les bureaux permanents seront domiciliés dans le lycée, va proposer des expositions, des ateliers d’arts plastiques, des rencontres, et les autres événements que cette nouvelle collaboration est susceptible d’engendrer.

Pour inaugurer cette aventure, une série d’expositions par duo d’artistes débute à la fin du mois de mars. La première de ces expositions dont le titre était « Comment faire corps avec le paysage ? » regroupait des œuvres de Julie Monnet et de Dominique Robin. Les deux artistes ont proposé aussi de transformer la galerie du lycée en atelier ouvert et de travailler sur place pendant ces trois semaines. Ils accueillis les élèves au cours d’ateliers de création particulièrement avec un groupe de mineurs isolés de l’Aide Sociale à l’Enfance.


Dominique Robin


Vit et travaille entre Aubigny et New-York.

www.dorobin.com

Dominique Robin est un artiste plasticien qui vit et travaille dans les Deux-Sèvres (Aubigny) et à Rome (Italie). Son travail autour de la sédimentation du temps trouve à s’exprimer dans des œuvres (photos, dessins, vidéos, textes...) dont les accents écologiques révèlent paradoxalement l’inquiétante beauté des paysages contemporains : l’empreinte des centrales nucléaires dans le paysage (Réaction), les effets du carbone sur l’environnement (Oil), les champs de culture intensive (Éléments)... Récemment, il a créé une série d’œuvres mettant en jeu sa relation au paysage naturel à partir de pierres collectées en Toscane et dans l’Hudson Valley : Stones Puzzles, (2016-2017), Debris, Bedrock (2020). «Je cherche à imprimer sur le papier photographique les effets de cet instant singulier où le fragile rencontre l’immuable. Il me semble que ce point de rencontre entre éphémère et permanent définit ce qu’on appelle un paysage.»

Bedrock, New York,Aubigny 2020

Série "Debris"
Pierres, photographies, aimants, technique mixte sur papier
240cmx120cm

Dominique Robin s’est constitué en Toscane, une collection de “pierres puzzles”. Il s’agit de pierres facturées par le temps mais dont les morceaux n’ont pas encore été dispersés. Ces formes ancestrales ramassées sur le chemin des collines du Chianti (selon l’université de Florence elles ont 70 millions d’années), se sont modifiées sous l’effet des intempéries. “Je récupère ces roches brisées et leur donne une nouvelle chance. En effet, tant qu’elles auront le statut d’œuvre d’art, ces fragments ne vont pas se disperser, ni rouler dans la rivière pour finir en grains de sable sur une plage. Je m’amuse à assembler et à désassembler les morceaux de ces puzzles naturels et je dois dire que je ne me lasse pas de ce geste.” Cette collection de pierres puzzles a donné lieu à un livre, une vidéo ainsi qu’une série de photos et de dessins.

Entretien Dominique Robin

 -Peux-tu me parler de l'atelier, ce qu'il est pour toi ?

Tu dis « l'atelier ». Ce déterminant au singulier est signifiant : l'atelier est symboliquement cet endroit idéal où l'œuvre va avoir lieu. On imagine un espace immuable accompagnant pour toujours la vie de l'artiste comme dans l'Atelier de Giacometti. Je rêve, moi aussi, de ce refuge permanent parfaitement adapté à mes besoins, si bien que j'ai tendance à regretter de devoir souvent déménager. Pourtant, j'y vois plus clair quand je travaille en mouvement et mon atelier idéal devrait être dans un bateau ou un train plutôt que dans une maison de campagne. Je passe, dans une même année, de mon atelier de New York à celui d'Aubigny dans les Deux-Sèvres puis de Rome –j'y suis en ce moment – pour finir peut-être par rejoindre un nouvel espace de travail dans un musée ou dans une résidence. La précarité de mes ateliers m'aide, en fin de compte, à bousculer mes certitudes, elle me permet de faire table rase. J'arrive et tout est vide. Je pose une feuille de papier sur une table nue. Tout peut commencer.


-Dans tes dernières expositions, tu installes parfois un atelier que tu laisses aux regards des visiteurs quand tu es absent. Pourquoi ce choix ?
Je travaille par séries : une idée ou bien même une matière m'obsède, j'en fais le tour en utilisant différents mediums et en produisant des œuvres variées. L'exposition qui ressemble alors à une grande installation, me permet d'en finir et de passer à une nouvelle séquence. Les séries Éléments, Blackout ou Stone puzzles sont particulièrement symptomatiques de ce fonctionnement. Dans cette perspective, il me semblait intéressant d'intégrer mon atelier à mes expositions personnelles, d'y présenter en somme la « centrale de production ». Et puis, je me sens bien au milieu du public : les gens me voient travailler, ils me parlent, ils réalisent aussi ce qu'il en est de la fragilité et de l'incertitude dans le processus créatif.

- Tu as d'abord beaucoup dessiné tout en étant directeur d'un centre d'art où tu étais notamment commissaire d'expositions. Ensuite, quand tu as pu te consacrer à ta pratique artistique, tu as créé des installations monumentales en collaborant avec d'autres artistes avant de revenir à une pratique plus solitaire et de recommencer à dessiner. Peux-tu nous en parler ? Est-ce pour toi un retour ?

De fait mes désirs d'art, sont pluriels au point, parfois, de les percevoir comme un poids quand ils m'obligent à changer radicalement de technique : je ne rêve pas seulement de l'atelier unique mais aussi de l'activité unique dans cet atelier de fond de jardin unique. Bref, je fantasme sur la vie des peintres. Heureusement, mon parcours est traversé par d'autres énergies que celles issues de cette imagerie d'Épinal. Je me souviens avoir dit il y a quelques années que je ne ferais jamais de photos et que probablement je n'écrirais plus. Eh bien voilà, il y a des promesses qu'il faut savoir ne pas tenir : suite à une commande pour une ONG en Afrique, j'ai finalement exposé une série de 150 photos accompagnée d'un long texte. C'est après ce projet que ma pratique photographique a commencé, si bien que l'on peut dire que mes images avec l'huile de vidange automobile dans le jardin familial sont aussi dues à mon expérience dans un dispensaire en Guinée. Dans ce pays, une photo prise au mauvais moment peut avoir des conséquences désastreuses. Cet état d'esprit qui interroge sans cesse la nécessité de l'acte photographique continue à m'habiter même quand je photographie des taches d'huile ou des pierres.

Cela dit, on sait bien, en dernier ressort, de quoi il retourne. Je passe une grande partie de ma vie en ville mais la quasi-totalité de mes œuvres sont liées à la question du paysage dans la nature ou bien à une réflexion sur les éléments : je me dis constamment que« toute la magie du monde est dans ses éléments » et que l'art relève pour ainsi dire de la cosmologie. Alors que j'utilise de la vidéo, des dessins, des mots etc. c'est toujours les mêmes interrogations qui reviennent et l'imprévu est, in fine, une répétition du même à l'intérieur d'un monde en ébullition.

Cet entretien est né d'un dialogue artistique entre les artistes du collectif et fait suite à l'exposition "Rassembler" qui présentait les œuvres des 10 artistes du collectif à Lac&S la Vitrine de Limoges.

Interview, présentation : Dominique Robin et Florian de la Salle. Relecture : Héloïse Morel.


Julie Monnet


Vit et travaille à Poitiers.


www.juliemonnet.com

Julie Monnet dessine, observe, collecte et traverse le paysage, souvent en périphérie des villes. Se déplacer est de l’ordre de l’instinct et lui est nécessaire. Son processus de pensée est flexible, sans médium de prédilection en adaptant une technique, un outil à ce qu’elle souhaite représenter. Ces recherches s’articulent entre une pratique et une démarche polymorphe autour du paysage et donnent à voir les miroitements, les reflets d’une perception en mouvement : une atmosphère, un agencement de formes et de matières, une pensée. Cette archive du visible, ce qu’elle perçoit à un moment donné, s’apparente à des rushs, focus, plans rapprochés ou larges. C’est une mémoire en travelling qui tente d’agir comme un panoramique en séquences et dont elle se sert à l’atelier.

Robinier faux-acacia et Platane


2016-2019
Série Épaisseur d’écorces
Estampe sur papier intissé
170 x 100 cm



Robinier faux-acacia et Platane  font partie d’une série de 18 estampes, Épaisseur d’écorces, réalisée entre 2016 et 2019 et amorcée au Tripostal d’Avignon.
Les arbres sont des supports, des surfaces contre lesquelles une feuille de polystyrène est pressée pour relever le motif de leur écorce, prendre leur empreinte. C’est un travail à l’échelle du corps et à la mesure de ses possibilités. C’est un geste de sculpteur même si le résultat final se rapporte à l’estampe. Le système d’impression est rudimentaire : un rouleau en acier accompagné de deux poignées. L’image produite est une image instable, de l’entre deux. Elle est brutale et floue, proche et distante à la fois.

Entretien Julie Monnet

- En regardant ton travail, on sent une filiation avec certaines œuvres de Giuseppe Penone : reproduire à l'identique une pierre façonnée par le fleuve, c'est "Être fleuve" nous dit par exemple Penone.Je pense aussi aux mots d'un jardinier répondant à la question de Fanny Guérineau " C'est quoi le paysage pour vous? " Il a répondu un brin provocateur "- Demandez plutôt ça aux touristes. Le paysage, c'est moi." (Résidence Sentier des Lauzes, 2019). Est-ce que toi aussi tu cherches à être le paysage?

Chercher à être le paysage est une question qui peut me traverser quelques fois quand je ne suis pas observatrice, quand j'agis physiquement dans le paysage comme par exemple avec la série "Épaisseur d’écorces"réalisée de 2016 à 2019. Je ne sais pas si je désire être le paysage mais en tout cas je travaille avec lui, j'ai l'impression de l'habiter, d'en faire partie. Je me dis à la fois que je cherche peut-être à resserrer un lien qui s’est distendu, à revenir vers l'essentiel, l'origine de ce que nous sommes fondamentalement, c'est-à-dire le paysage. Parce que nous en sommes une partie,nous l'habitons constamment, nous vivons et marchons continuellement dessus et dedans.

Même si au départ je n'envisage pas de travailler en extérieur, je finis toujours par sortir et aller dans le paysage. Je fais souvent ça, c’est de l'ordre de l'instinct. Très tôt, j'ai travaillé avec lui, en privilégiant celui qui est à ma proximité. Je suis d'abord allée de l'urbain vers les périphéries des villes, les lisières : des espaces entre-deux, des lieux de production comme les sites industriels, les chantiers... Je considérais ces espaces comme des collages de matières, de matériaux, des assemblages de volumes. Au départ je travaillais avec une table, une chaise et mes outils, en m'installant directement dans le paysage pour en dessiner certaines parties. (« Cartes postales » 2008 et « Repères »2008 à 2015). Après quelques temps, j'ai lâché la table et la chaise pour ramasser, glaner des matériaux, prélever des empreintes.

Actuellement, je me déplace davantage dans la nature. Agir et être présente dans le paysage est le moyen que j'ai trouvé pour m'extraire, pour ralentir le temps et l'action. C’est une manière de me distancier de ce monde qui va très vite. La forêt apporte une sobriété, une présence silencieuse. Le temps se calme, ralentit. La pensée, le regard aussi. Tout devient plus souple.

Travailler sur des gestes répétitifs, automatiques comme presser du polystyrène avec mes pouces durant une après-midi pour prélever l'empreinte d'un arbre,broder les contours d'une géographie et dessiner par le fil ce qu'il y a sous la terre en écoutant des émissions de radio, me promener sur les bords du Clain en ramassant des végétaux ou branchages qui me serviront à la réalisation de pièces, tout cela participe à ce ralentissement.

- Lorsque l'on marche dans le paysage pour le plaisir de l'habiter, le déploiement des sens renvoie presque toujours à une quête du sens. Est-ce que ta démarche peut s'inscrire dans cette perspective ?

J'ai surtout l'impression d'habiter le paysage quand j'y travaille, pas forcément quand je marche, d'ailleurs je ne suis pas une grande marcheuse, je vais vers lui pour y travailler. Le paysage devient pendant un laps de temps mon atelier. J'ai l'impression que la pensée s'ouvre, d'y trouver du sens, en travaillant avec un matériau qui me semble essentiel et important.

Comme beaucoup d'artistes ou chercheurs, cette recherche de sens se trouve aussi au sein de mon travail. Pour ma part, le renouvellement des pratiques,l'expérimentation de nouvelles techniques, médiums, chercher, essayer puis développer une piste, tout cela participe à cette quête au sein de ma démarche qui prend la forme d'une marche. Chaque travail ou série est une direction qui croise celles déjà entamées précédemment, c'est une géographie que je construis au fur et à mesure. La pensée peut prendre de nouvelles formes et c'est dans ces entre-deux qu'un chemin s'ouvre.

Cet entretien est né d'un dialogue artistique entre les artistes du collectif et fait suite à l'exposition "Rassembler" qui présentait les œuvres des 10 artistes du collectif à Lac&S la Vitrine de Limoges.

Interview, présentation : Dominique Robin et Florian de la Salle. Relecture : Héloïse Morel.



Les autres expositions auront lieu tout au long de l’année 2021.
Un catalogue récapitulatif sera publié début de 2022.

Duo 2 : Quid de l’état du monde ? De quoi sommes-nous héritiers ?
Fanny Guérineau - Benoit Pierre
printemps 2021

Duo 3 : Des assemblages qui renvoient à une géographie personnelle.
Guillaume Abdi - Nadia Sabourin
printemps-été 2021

Duo 4 : Protocoles et expériences sous l’influence de procédés scientifiques.
Florian de la Salle - Aurélie Mourier
automne 2021

Duo 5 : Un atelier sur l’extérieur, un atelier sur une ligne de crête.
Marie Sirgue - David Falco
automne-hiver 2021


Lycée Pilote innovant international

Présentation

LP2I
Téléport 5
86 130 Jaunay-Marigny
05 49 62 05 75

https://www.lp2i-poitiers.fr

Le Lycée Pilote Innovant International (LP2I) est un lycée public sorti du sol en 1987 sur le site du Futuroscope, à Jaunay-Marigny, près de Poitiers.

Plus de trente ans après, son architecture, qui fait écho au parc d’attraction qu’il côtoie et à sa géode, reste futuriste (en forme de delta, avec un toit coulissant). La cour intérieure, imaginée selon un modèle panoptique, ainsi que les espaces verts qui entourent le lycée, en font un lieu qui surprend toujours, et où les espaces, propices à l’accueil d’œuvres plastiques, peuvent vivre et être détournés.

Les spécificités du lycée vont cependant bien au-delà de son architecture. Résolument ancrée dans l’innovation pédagogique, l’histoire du lycée s’est modelée, et continue de s’imaginer, autour de
la volonté de penser l’élève au centre de l’éducation et des apprentissages : comment se construire, en tant qu’élève, comme un individu, un futur citoyen, responsable et autonome ?

Ainsi, c’est autour de mots tels que : suivi, accompagnement, projets, activités de groupes, espaces, ouverture sur l’international, numérique… que le lycée évolue constamment, essayant d’absorber la société mouvante qui est la nôtre pour la donner à comprendre aux élèves, et leur permettre de la maîtriser.

Cette vision ne saurait se construire sans une implication importante vis-à-vis de la culture sous toutes ses formes. En réaffirmant un engagement fort par le partenariat sur trois ans avec le collectif ACTE, le Lp2i se situe ainsi dans la perspective de faire intervenir l’art dans ses murs, et de permettre aux élèves de dialoguer avec les œuvres au quotidien.

Ce partenariat avec ACTE poursuit un mouvement depuis initié de longue date : une Galerie d’établissement accueille tout au long de l’année des expositions (en partenariat avec différentes structures culturelles : le FRAC Nouvelle - Aquitaine, Document d’artiste Nouvelle Aquitaine, le Confort Moderne....)

 

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